Des calculs de précision pour tester la supersymétrie aux collisionneurs

in La Ruche2 years ago

For my English-speaking readers, this post is the French adaptation of this blog dedicated to one of my latest research works. It addresses supersymmetry and precision calculations for particle colliders.

D’habitude, mes posts en français paraissent le jeudi. Mais pour ce coup-ci, ma semaine a été émotionnellement très chargée, et de plus remplie de très nombreux cours à préparer. Sortir un post jeudi a ainsi été trop compliqué à gérer. Mais mieux vaut tard que jamais et me voici !

Ce post complète l’introduction à la supersymétrie de la semaine dernière, et j’y discute entre autre ma dernière publication scientifique sur ce sujet. Cette dernière présente un calcul de précision en supersymétrie qui sera utile pour les futures analyses au Grand Collisionneur de Hadrons (le LHC) du CERN. Dans notre article, nous nous sommes focalisés sur la production au LHC de particules supersymétriques différentes, l’une d’entre elles étant un squark (le partenaire supersymétrique des quarks, les briques élémentaires des noyaux atomiques) et l’autre un electroweakino (le partenaire supersymétrique des photons, bosons faibles et de Higgs).

Dans ce blog, je commence par présenter un résumé de l’épisode précédent afin de motiver la supersymétrie. Je me concentre ensuite sur ses recherches au LHC, avant d’expliquer en quoi le calcul fait dans mon article est important. La dernière partie du post détaille finalement certains de mes résultats.


[Crédits: Image originale de darksouls1 (Pixabay)]


Pourquoi la supersymétrie ?


Notre univers contient deux classes des particules élémentaires ayant chacune des propriétés bien différentes, les fermions et les bosons. Leur différence provient de leur nombre quantique de spin, qui indique la quantité de moment cinétique intrinsèque porté par la particule. Pour un fermion, il s’agit d’un multiple demi-entier d’une quantité fondamentale, alors que pour un boson, nous avons affaire à un multiple entier de cette quantité. Toute la structure du monde autour de nous trouve son origine dans cette différence !

En supersymétrie, chaque fermion de la théorie est associé à un partenaire bosonique, et inversément chaque boson de la théorie est associé à un partenaire fermionique. Si l’on applique cela au Modèle Standard de la physique des particules, cela revient à doubler le nombre de particules. Les quarks et leptons sont associés à des partenaires bosoniques (des squarks et des sleptons) et les médiateurs des interactions fondamentales sont associés à des partenaires fermioniques (les jauginos et les higgsinos). Parmi ces derniers, on distingue les gluinos (les partenaires des gluons) et les electroweakinos (les partenaires du photon, des bosons W, Z et de Higgs).

Le gros avantage de cette supersymétrisation concerne la matière noire qui fait à présent partie de la théorie, et la résolution de problèmes conceptuels du Modèle Standard comme le problème de la hiérarchie (pourquoi la taille du champ de Higgs est ce qu’elle est) et de l’unification des interactions fondamentales à haute énergie.

En conséquence, la supersymétrie est recherchée activement expérimentalement, comme au LHC par exemple.


[Crédits: Pcharito (CC BY-SA 3.0)]


Recherche de supersymétrie au LHC


Afin de rechercher la supersymétrie au LHC, on utilise le fait que la théorie contient une particule de matière noire. Une fois produite, cette particule quitte le détecteur de façon invisible. La seule façon de détecter sa présence est alors d’utiliser le fait que l’énergie et l’impulsion sont toujours conservées dans un processus physique. Ainsi, l’énergie de l’état final du processus doit être égale à l’énergie de son état initial. Si de la matière noire est produite, alors elle emportera une partie de l’énergie de l’état final avec elle et nous observerons un manque dans le bilan énergétique de la réaction. Cela nous permet de reconstruire l’invisible à partir du visible.

De plus, toute particule supersymétrique se désintègre toujours en de la matière noire et des particules du Modèle Standard. Cette désintégration peut être soit directe, soit s’effectuer en plusieurs étapes. Dans le premier cas, la particule supersymétrique se désintègre en exactement une particule du Modèle Standard et de la matière noire. Dans le deuxième cas, nous avons une première désintégration donnant lieu à une particule supersymétrique plus légère et une particule du Modèle Standard. Une seconde désintégration a alors lieu et la nouvelle particule supersymétrique se désintègre à son tour. Et ainsi de suite. Cette cascade s’arrête lorsqu’on atteint la particule supersymétrique la plus légère, à savoir la matière noire qui est stable.

Un signal typique de supersymétrie contient ainsi un bon tas d’énergie manquante (venant de la matière noire) et une certaine quantité de particules du Modèle Standard.


[Crédits: CERN (CC BY 4.0]

L’interaction forte étant la plus forte de toutes les interactions fondamentales, on va commencer par étudier la production de partenaires supersymétriques sensibles à cette interaction. On considère ainsi la production d’une paire de squarks (les partenaires des quarks du Modèle Standard) ou d’une paire de gluinos (les partenaires des gluons).

Dans les cas les plus simples, toutes ces particules se désintègrent en matière noire et en un ou deux quarks. On se retrouve ainsi avec un signal comprenant des jets de particules fortement interagissantes (voir ici pour plus d’informations) et de l’énergie manquante emportée par la matière noire.

Mais voilà, il n’y a aucun signe de supersymétrie dans les données, et ce même si on considère des canaux de désintégration plus complexes. Ainsi, si les squarks et les gluinos existent, alors ils doivent être très lourds. Cette masse importante permet d’obtenir des taux de production suffisamment rares pour expliquer le fait que nous n’avons observé aucun signal, malgré la nature fortement interagissante des squarks et des gluinos.


[Crédits: CERN]

On peut alors attaquer la production de particules supersymétriques non fortement interagissantes. Cela nous mène à des taux de production suffisamment faibles pour expliquer qu’aucun signal n’a été observé, et ce même pour des particules légères. Un exemple de telles particules sont les electroweakinos, les partenaires supersymétriques du photon, des bosons W et Z et du boson de Higgs. Bien qu’il existe des contraintes sur la masse de ces particules, elles sont beaucoup moins fortes que pour les squarks et les gluinos.

On pourrait très bien ainsi avoir un modèle supersymétrique viable avec des squarks et des gluinos très lourds, et des electroweakinos bien moins lourds. Cela nous mène naturellement au sujet du jour, mon dernier article scientifique. D’habitude, on considère la production d’une paire de particules supersymétriques fortement interagissantes, ou celle d’une paire d’electroweakinos. Mais quid de la production d’un de chaque ? Nous avons testé cette possibilité et étudié la production d’un electroweakino léger avec un squark lourd.


Production supersymétrique semi-forte


Avec les futures données, on peut s’attendre à des limites sur les masses des squarks et gluinos encore plus fortes qu’aujourd’hui, rendant leur production par paires quasi impossible. Ainsi, les seules façons que nous aurons d’étudier la potentielle existence de ces particules hypothétiques sera à travers leur production associée avec un electroweakino.

Avec mes collaborateurs, nous avons décidé d’anticiper cela et de calculer le taux de production d’un squark avec un electroweakino au LHC. Ce processus est semi-fort, vu que seul le squark est sensible à l’interaction forte. Cependant, au contraire des processus de production par paires, nous avons à présent deux particules différentes dans l’état final et donc deux masses à contraindre en même temps. Cela nous donne plus de paramètres libres et complique l’interprétation des futurs résultats des analyses de physique.

Notre calcul était cependant hautement non trivial : il s’agit de prédiction de précision pour le taux de production d’un squark et d’un electroweakino. Comme dit ci-dessus, ce processus a de fortes chances de devenir l’un des processus clés dans le futur pour tester l’existence des squarks et d’extraire les meilleurs limites sur leur masse (ou de conclure à leur découverte le cas échéant). Un exemple de nos résultats est montré ci-dessous. Le bonus est que l’une des particules peut être légère, menant à des taux de production raisonnables.

Un exemple de résultat est donné ci-dessous.


[Crédits: arXiv]

Cette figure montre le taux de production d’un squark avec un electroweakino au LHC en fonction de la masse du squark (pour une masse d’electroweakino fixée). Ce taux de production est indiqué sur l’axe y. Pour se fixer les idées, la valeur 10-3 pb correspondrait à 150 événements de signal dans les données actuelles du LHC, et à environ 4000 événements dans les données futures. La masse du squark est ce qui figure sur l’axe x, et est donnée en GeV (1 GeV est la masse du proton).

Nous donnons les résultats pour trois niveaux de calculs (en bleu, orange et vert). Chaque résultat est associé à un niveau de précision différent, que nous pouvons extraire de la taille des barres d’erreur montrées dans la partie inférieure de la figure. Une grosse bande indique un calcul peu précis, tandis qu’un bande étroite est synonyme de calcul précis.

  • Le calcul en bleu correspond au calcul le plus naïf et est connu depuis plusieurs décennies. Il peut être obtenu en 3 minutes grâce aux outils automatisés tels que celui présenté dans mon projet de sciences citoyennes sur Hive. Ce calcul naïf est cependant peu précis.
  • Les prédictions en orange sont plus compliquées à obtenir et sont connues depuis plusieurs années seulement. Les corrections quantiques aux calculs sont incluses (voir ici pour des infos sur ces dernières).
  • La courbe en vert est notre nouveau résultat, obtenu à l’aide des meilleures techniques de calcul de précision sur le marché. En jetant un clin d’œil aux barres d’erreur vertes, on arrive à estimer le gain en précision permis par nos calculs.

L’amélioration sur laquelle nous avons travaillé consiste en la prise en charge de corrections quantiques à tous les ordres de la théorie des perturbations, sur base de la seule connaissance des prédictions connues (en orange). Cette méthode de resommation est bien établie et nous l’avons appliqué à un nouveau processus, ce qui nous a pris un an. Comme résultat principal, on peut noter que la barre d’erreur théorique se réduit à quelques pourcents.

Ainsi, nous avons finalisé un calcul de précision pour un processus supersymétrique qui a le potentiel de devenir un processus phare dans un futur proche.


La version courte…


La supersymétrie est l’une des théories les plus en vogue pour l’étude de phénomènes au-delà du Modèle Standard de la physique des particules. Cependant, l’absence de signal, notamment au Grand Collisionneur de Hadrons du CERN, impose des contraintes fortes sur les masses des partenaires supersymétriques des particules du Modèle Standard.

Les particules les plus contraintes sont les squarks (les partenaires des quarks, qui sont les blocs les plus élémentaires de la matière nucléaire) et les gluinos (les partenaires des gluons, médiateurs de l’interaction forte), car ces particules sont sensibles à l’interaction forte et peuvent donc facilement être produites au LHC. Ensuite viennent les autres partenaires. Parmi eux, on peut noter les electroweakinos, c’est-à-dire les partenaires du photon, des bosons faibles et de Higgs. Ces derniers étant plus difficilement produits au LHC, les limites sur leur masse sont plus faibles.

Dans l’article discuté dans ce blog, mes collaborateurs et moi-même avons considéré la production d’un squark avec un electroweakino au LHC. Ce processus mène à des taux de production modérés (ni grands ni petits) vu qu’une particule sensible à l’interaction forte (le squark), et non pas deux, est produite. De plus, l’une des deux particules produites peut-être légère (l’electroweakino) au vu des contraintes actuelles. Ce processus offre donc une possibilité d’étudier les squarks dans les données futures, ce qui s’avérera impossible à partir de leur production par paires rendue trop rare au vu des limites de plus en plus fortes sur leurs masses.

Nous avons calculé le taux de production du nouveau processus de la façon la plus précise possible, ce qui permettra l’extraction de conclusions robustes à partir des données futures, que cela soit dans le cadre de nouvelles limites (pas de signal) ou d’une découverte (observation d’un signal). Grâce à notre travail, les prédictions théoriques sont précises à l’ordre de quelques pourcents.

Voilà, c’est tout pour ce soir. Je vous souhaite à tous et toutes un agréable week-end, et rendez-vous la semaine prochaine pour d’autres aventures ! En attendant, j’attends vos questions et commentaires avec impatience.

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Bonjour bonjour, si ma mémoire n'est pas défaillante il me semble que certaines personnes parlent d'un changement des lois de la physique entre avant et après libération de la lumière dans l'Univers primordial (j'espère ne pas dire de bétises) ceci apportant une pierre à l'édifice de la supersymétrie dans la différence que pourrait avoir une particule avec son partenaire, quand est-il exactement?

De ce que je retiens de ma lecture c'est que les fermions et bosons non encore découvert ne sont pas stable, est-ce une mauvaise lecture de ma part? Sinon pourquoi ceux là précisemment ne sont pas stable, parce que leur partenaire lui l'est?

Bonjour bonjour, si ma mémoire n'est pas défaillante il me semble que certaines personnes parlent d'un changement des lois de la physique entre avant et après libération de la lumière dans l'Univers primordial (j'espère ne pas dire de bétises) ceci apportant une pierre à l'édifice de la supersymétrie dans la différence que pourrait avoir une particule avec son partenaire, quand est-il exactement?

En fait, je ne comprends pas ce que tu veux dire par "liberation de la lumiere". Pourrais-tu preciser ? Dans tous les cas, si ton modele est supesymetrique, il faut prendre en compte les partenaires dans tout calcul.

De ce que je retiens de ma lecture c'est que les fermions et bosons non encore découvert ne sont pas stable, est-ce une mauvaise lecture de ma part? Sinon pourquoi ceux là précisemment ne sont pas stable, parce que leur partenaire lui l'est?

Certains partenaires peuvent etre stables, et d'autre pas. Ca depend des details du modele (en particulier sur comment ils interagissent les uns avec les autres et quelles sont leurs masses).

En general, si une particule lourde donnee peut interagir avec des particules plus legeres, alors un canal de desintegration existe et la particule lourde est instable (ou metastable dans le pire des cas). Je me doute que cela ne repond pas entierement a la question, mais est-ce que ca aide un peu ?

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